Nous approchons de la fête de la Saint Valentin, à la mi-février, et la question se pose à bon nombre de nos étudiants, qui pour la plupart sont jeunes et pleins de fougue, de savoir d’où vient cette tradition d’une fête des amoureux.
La Saint valentin, une tradition très ancienne
Eh bien elle est très ancienne, et comme la majorité de nos traditions, résulte d’un mélange entre notre héritage gréco-romain – en l’occurrence, ici, seulement romain – et l’imprégnation du christianisme.
On sait que la légende veut qu’au VIIIe siècle avant notre ère, deux frères, Romulus et Rémus, aient été nourris par une louve. C’est donc grâce à cette protection que Rome pourra être fondée plus tard par Romulus. A Rome donc, où l’année commençait non pas en janvier comme aujourd’hui mais le 1 er mars, on fêtait le 15 février les lupercales, du mot « lupus », le loup, et « arcere », écarter : le mot ainsi forgé est lourd de sens, il signifie que c’est une louve qui a protégé les enfants contre les loups. Il en est de même de la sexualité, qui est louve quand elle est prédatrice, mais qui est lupercale quand elle est encadrée pour produire une naissance.
Chaque mi-février donc, à Rome, des jeunes gens déguisés en faunes, vêtus d’un pagne de bouc, arpentaient les rues en riant et fouettaient gentiment les femmes qu’ils rencontraient avec des lanières d’un bouc qui venait d’être sacrifié par un prêtre luperque, toujours issu des plus anciennes familles fondatrices de la ville. Les épouses qui souhaitaient attendre un enfant se prêtaient de bonne grâce à ce jeu.
Paradoxalement, c’est un empereur persécuteur de chrétiens, Claude II, qui le premier, anticipa malgré lui un rapprochement avec le travail d’évangélisation populaire de l’Eglise. En effet, le 14 février 269, il fit décapiter Valentin, évêque de Terni dans le sud de l’Ombrie, région voisine du Latium, accusé d’encourager de trop nombreux mariages, qui en tant que tels diminuaient le nombre d’hommes célibataires disponibles pour le service légionnaire. A- t-il intentionnellement choisi cette date pour décourager les entreprises amoureuses des hommes jeunes ? Difficile de le savoir.
La fête des lupercales
Le temps passa. Rome devint chrétienne en 392, l’Empire se scinda en deux en 395, la Rome d’Occident s’effondra en 476, laissant l’évêque de Rome, chef de l’Eglise – les chrétiens d’orient ne le contestaient pas encore – seule autorité de la Ville suffisamment légitime pour devoir veiller à l’ordre public et à la régulation des mœurs. C’est dans cet esprit qu’en 494, le pape Gélase décida d’interdire la fête des lupercales aux chrétiens qui, par tradition, par habitude romaine, s’y livraient encore. On sait que l’Eglise, qui reconnaît des semences du Verbe, ou des vérités évangéliques partielles, dans les religions païennes, a superposé les fêtes chrétiennes sur des fêtes païennes, comme elle a souvent édifié des lieux de culte sur d’anciens temples, comme à Notre-Dame de Paris, par exemple. C’est dans ce même esprit qu’elle a profité de ce que le 14 février était bien la date anniversaire du martyre de Valentin pour évoquer une fête des amoureux.
Naturellement, cette fête n’entrant pas dans la liturgie, il lui fallut beaucoup de temps pour se répandre hors de Rome en tant que fête traditionnelle, dénuée de sens religieux à proprement parler ; d’ailleurs ce n’est que mille ans plus tard que le pape Alexandre VI l’institua officieusement « fête des amoureux ».
Une fête « commerciale »
Aujourd’hui, le marketing s’en mêlant, on encourage les couples qui s’aiment à s’offrir des cadeaux, un dîner au restaurant, quelque chose en tout cas qui exprime l’amour durable, donc fécond, l’amour « lupercal », qui protège des loups, des prédateurs. Ainsi a perduré cette tradition vieille de 2.700 ans.
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Comment réformer nos régimes de retraite pour répondre aux défis de l’avenir ?
Pour se faire une idée des difficultés qui attendent la société française, il convient de rappeler quelques chiffres. Car notre système par répartition n’est viable que pour autant que la démographie demeure saine. Un cotisant aujourd’hui ne cotise pas pour lui-même mais pour payer la retraite de celui qui vit en ce moment même à la retraite. Dans les années Soixante, environ Trois cotisants et demi payaient un retraité, lequel vivait en moyenne entre deux et cinq ans au-delà de son départ à la retraite, généralement fixé à l’époque à 65 ans.
Mais aujourd’hui, seulement Un homme et demi payent la retraite du retraité qui désormais a une espérance de vie de 20 ans après son départ. Nous vivons plus longtemps, c’est bien, mais
le poids des vieux s’alourdit toujours plus, dans un pays où les générations ne se renouvellent plus comme avant.
Alors, y a-t-il une solution ? Non, il n’y en a pas, du moins n’y en a-t-il aucune qui soit idéale. Certes, on peut reculer l’âge de la retraite, qui d’ailleurs en France est moins élevé que la moyenne européenne ; c’est probablement indispensable mais ce sera un cautère sur une jambe de bois, d’autant que l’on prévoit à l’horizon 2050 une espérance de vie encore allongée de dix ans supplémentaires : trente ans de vie à la retraite, contre entre deux et cinq ans dans les années Soixante où la natalité était dynamique : dans quelque direction que l’on se tourne, le problème reste entier.
Certains préconisent d’améliorer le système par répartition par un système par capitalisation. Ce n’est pas bête en effet, à condition que la monnaie dans laquelle cette capitalisation ne soit pas soumise à une érosion au fil des années, ce qui est bien le cas de l’euro, dont le pouvoir d’achat ne cesse de baisser. D’autre part, cette capitalisation n’est jamais à l’abri des tempêtes financières qui surviennent régulièrement dans notre économie où la spéculation boursière dépasse de trop haut la richesse réellement produite. Sans même parler des escroqueries comme celle de Madoff ou plus récemment de Bankmanqui ont réduit à rien les fonds de pension de milliers d’épargnants, mais encore ce phénomène reste-t-il, somme toute, marginal.
L’essentiel est de savoir que, dans ce domaine, on en revient à l’enseignement de Jean Bodin, le grand économiste angevin du XVIe siècle : « Il n’est de richesse que d’hommes ». Dans un système de retraite comme le nôtre, par répartition, moins d’hommes égalent moins de richesse. Nous ne sortirons pas de cette impasse, quelles que puissent être les innovations concertées entre les syndicats et le Gouvernement ; mais, dans le débat politique qui risque bien de monter en température à ce propos en janvier prochain, il n’est peut-être pas nécessaire de s’en rendre compte, puisque, ainsi que nous le savons, la politique est d’abord et avant tout le royaume de l’imaginaire.
Le mercredi 16 novembre dernier a été consacré à la première Journée des talents de notre année scolaire 2022-2023, premier événement d’un cycle comptant trois journées tout au long de l’année. Trois interventions ont eu lieu, les deux premières du matin se complétaient, et celle de l’après-midi était spécifique, plus immédiatement pratique au service de chaque étudiant présent.
Culture d’entreprise et pressions du marché
M. Moracchini, professeur de géopolitique et d’économie, a offert à son auditoire un brillant exposé consacré à un face-à-face permanent entre la culture de l’entreprise en général et la pression du marché.
On sait que le marché est le lieu de rencontre entre l’offre et la demande, tandis que l’entreprise est l’organisation qui régit la quasi-totalité de la vie moderne. Notre existence en effet est en grande partie portée par l’entreprise, seule capable d’assurer la satisfaction de nos besoins et de nos désirs.
Il se trouve que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les deux logiques, celle du marché et celle de l’entreprise, ne se confondent pas, bien au contraire. L’entreprise ne peut pas être libérale comme peut être le marché. Elle a besoin d’organisation, de management, et l’on sait bien que dans l’histoire passée, l’expérience de l’autogestion s’est révélée décevante. Autrement dit, on ne peut pas trouver dans l’entreprise la même horizontalité que l’on trouve dans la loi de l’offre et de la demande, où l’équilibre est la règle, mais un équilibre fait d’égalité entre les deux pôles.
Ainsi, toute extension du domaine de l’un provoque une réduction du domaine de l’autre. En revanche, seul le mariage de l’entreprise avec le marché lui permet d’être efficace. Après cela, votre serviteur a posé la question de savoir dans quelle mesure l’entreprise peut être le lieu de l’épanouissement de l’homme. Sans nul doute, elle est un facteur d’intégration de l’individu dans le corps social en lui donnant une identité professionnelle qui participe à son identité sociale : voici que passe le facteur, voici le directeur de achats, voici le professeur, etc. mais elle peut être aussi un facteur d’aliénation en servant d’outil d’exploitation de l’homme par l’homme. En somme, elle est comme la cité elle-même, qui est comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses. D’où la nécessité de l’encadrer par la loi. Mais pour cela, il faut également poser des questions institutionnelles, pour protéger l’Etat lui-même du pouvoir oligarchique de l’argent.
Debriefing des grilles Innermetrix
L’après-midi a été consacrée à l’Entreprise et ses talents. L’Ecole avait invité M. Lebœuf, spécialiste en création d’entreprise et coaching, mais invité ici comme spécialiste certifié du test Innermetrix, une procédure psychométrique permettant aux étudiants comme aux collaborateurs d’entreprise – dans notre Ecole, ce sont les mêmes, puisqu’ils sont en alternance – de mieux se connaître en mesurant le rapport entre leurs différentes valeurs et prédispositions, mais aussi entre les différentes qualités réclamées par l’entreprise, ce qui suppose une capacité d’adaptation du sujet entre son naturel et son adapté. M. Lebœuf a donc fait un debriefing des grilles d’Innermetrix renseignées quelques jours plus tôt par les étudiants présents. Il s’agissait d’appréhender les compétences transversales, les modes de comportement, les leviers de motivation et les schémas de pensée pour la prise de décision.
Une belle journée riche d’enseignements aussi bien théoriques que pratiques, à l’instar des différents cursus proposés par notre Ecole, spécialiste reconnue de l’alternance.
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Le management des compétences consiste, entre autres choses, à repérer dans la structure dont vous avez la charge les capacités des uns et des autres pour assumer une fonction, parfois au-delà de ce qui était prévu. Il est bien connu qu’un collaborateur à qui l’on confie une mission de confiance – ce qui n’exclut pas le contrôle – remplit mieux sa fonction, tout simplement parce que vous lui donnez une occasion de s’épanouir dans son travail, de sorte que son progrès professionnel rejaillit sur son bien-être personnel.
Laurence Peter et la compétence managériale
Dans ce contexte, le pédagogue canadien Laurence Peter fit connaître en 1969 son fameux Principe de Peter, qui se résume à ceci : tout acteur d’une entreprise ou de n’importe quelle autre organisation est appelé à atteindre son niveau d’incompétence. C’est-à-dire qu’il connaîtra des promotions successives, jusqu’à occuper un poste dont la charge le dépasse.
Arrivé à ce stade, personne n’ose s’en débarrasser, parce que cela reviendrait à se déjuger. On préfère donc le promouvoir à un autre poste, jugé plus prestigieux encore, mais en réalité dépourvu d’importance. Pour ne donner qu’un exemple, quand durant la Grande guerre, le général Joffre ne parvient plus à tenir les rênes d’une confrontation dont la complexité a fini par lui échapper, on le nomme alors maréchal et on l’envoie en tournée de propagande aux Etats-Unis. Peter a forgé une maxime latine pour pérenniser son principe : promoveatur ut amoveatur : qu’il soit promu afin qu’il soit déplacé (entre parenthèses : vers un poste inconsistant).
Les raisons du seuil de l’incompétence
Il peut y avoir plusieurs raisons à ce seuil de l’incompétence, l’une des plus courantes est l’évolution des savoir-faire qui finit par déborder le titulaire du poste. Autant dire qu’une formation poussée est la seule arme disponible pour prévenir cette situation.
La meilleure preuve en est la situation actuelle des élites dirigeantes. La baisse du niveau scolaire barre la route à des individus qui, jadis, fussent devenus créatifs en plus grand nombre, donc eussent participé activement au progrès général. Il faut prévoir un avenir rempli de défis, surtout dans un monde où la concurrence est plus rude que jamais. Un miroir de cet état collectif se reconnaît chez les dirigeants politiques, dont, selon l’avis unanime et toutes tendances confondues, le niveau intellectuel ou au moins académique a chuté, à l’image de la population qui les désigne et qui, pour ne parler que de la France, est tombée à 98, quand l’Extrême-Orient affiche encore des scores de 108 à Hong-Kong, 105 au Japon. Sans surprise, c’est en Italie, cœur historique de l’Occident, que la chute est la moins violente, à 102. De fait, par le truchement des promotions démocratiques, le peuple faisant office de « hiérarque », pour reprendre la terminologie de Peter, ce sont des hommes qui lui ressemblent qui sont désignés. Il n’y a pas d’îlot protégé dans une société, même en tenant compte des écoles réservées à l’élite.
Autant dire que la formation est la solution. Nombre de nos étudiants rejoignent nos écoles dans cet esprit pour y vivre leur alternance, bien conscients que le savoir-faire – qui certes n’est pas la seule qualité, il y a aussi le savoir-être – mais le savoir-faire est la base de la compétence managériale.
Nous avons déjà dressé un état des lieux de l’économie française à l’occasion de la dernière élection présidentielle, pour dessiner les contours de la tâche qui attend le président réélu. A l’occasion des législatives qui ont suivi, nous avons assisté à une poussée inattendue de la droite populaire qui, en principe, devrait mettre en lumière l’état de nos inégalités sociales, auxquelles on a substitué depuis des décennies les questions sociétales, susceptibles de créer des clivages suffisants pour faire passer la première question au second plan. Et pourtant, pour paraphraser Galilée, et pourtant, elles existent.
Le bilan des inégalités sociales en France : depuis 1789
Si l’on suit des courbes statistiques partant de la Révolution française, on découvre à quel point la politique est décidément le royaume de l’imaginaire. En 1789, 1% des Français possédait 60% de la richesse nationale. Un chiffre supérieur de 10% seulement à celui des Etats-Unis aujourd’hui : gageons que les Américains, dont l’idéologie fondatrice joue le rôle d’un mythe fondateur, seraient très étonnés de l’apprendre. Après la Révolution et sous le règne d’un Napoléon encombré d’une guerre interminable et coûteuse déclarée avant lui par la République, le 1% plus riche ne possédait « plus que » – si l’on peut dire – 50% de la richesse nationale – comme en Amérique aujourd’hui, donc – avant de retrouver, à la veille de la Grande Guerre, son niveau d’avant 1789 : 60%. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la Révolution française n’a pas dispersé la concentration des richesses, elle a seulement ébranlé l’échelle politique au profit de la bourgeoisie, l’échelle sociale restant identique.
Le bilan des inégalités sociales en France : l’après guerre
Mais la ruine de la rente due aux deux guerres mondiales, ajoutée à une politique authentiquement distributive, ont fait tomber ce chiffre à 20% sous les années Pompidou, très certainement sous la pression des luttes sociales – aujourd’hui abandonnées, nous venons de le dire, au profit de luttes sociétales qui intéressent bien plus les riches que les pauvres, car il faut avoir des moyens pour s’offrir une GPA, par exemple. Ainsi, ceux qui, à gauche, défilaient en 1970 en chantant « Ohé, ohé, Pompidou, Pompidou navigue sur nos sous ! », seraient bien étonnés d’apprendre aujourd’hui qu’ils combattaient alors la société la moins inégalitaire de leur histoire. Puis, avec la fin des Trente glorieuses et l’encouragement d’une immigration constituant une vaste « armée de réserve de travailleurs », pour reprendre une expression de Marx, l’accaparement par ce 1% des Français d’une part toujours plus grande de la richesse a connu une remontée à 22%, ce qui d’ailleurs est toujours moins que l’Angleterre à 25%, l’Allemagne à 30%, et la Suède, paradis de la social-démocratie, à 37%. Donc la France est, avec l’Italie, la moins inégalitaire des grandes puissances européennes.
Elargissons maintenant du centile au décile supérieur. En 1789, ce décile possédait 90% du patrimoine. La confiscation des biens du clergé et de ceux de quelques grandes familles a fait « chuter » – si l’on peut dire – ce chiffre à 80% après la Révolution, ce qui était loin d’être vertigineux ; avant de retrouver son niveau de 1789 à la veille de la Grande Guerre. Comme pour le 1%, son niveau le plus bas a été atteint sous Pompidou, descendant – toujours si l’on peut dire – à 60% du patrimoine en 1975. La tendance est à la hausse, car si, auparavant, il était avantageux d’épouser un conjoint ayant une belle situation professionnelle, aujourd’hui il vaut mieux que ce conjoint possède plutôt un appartement à Paris. Quant aux 50% les moins favorisés de la population, ils n’ont jamais détenu plus de 10% de la richesse nationale ; alors, compte tenu du fait que, comme l’enseigne François Piketty dans son ouvrage L’Economie des inégalités, le taux de croissance est aujourd’hui plus faible que le rendement du capital, on peut penser que le transfert fiscal devrait toucher bien plus le capital que le revenu.
Dans un post du mois de février dernier – il est vrai, avant l’intervention de la Russie dans la guerre du Donbass et ses conséquences inflationnistes – nous avions dit que, sur la longue durée des millénaires, les prix demeuraient relativement stables, et que les pics ou les chutes étaient généralement conjoncturels plutôt que structurels. Nous avions toutefois convenu qu’aujourd’hui, ce qui coûte vraiment plus cher que d’habitude, c’est le logement, probablement du fait de la désertification rurale et de la concentration dans les grandes villes. C’est donc dans ce contexte de la hausse du coût du logement que nous allons aujourd’hui faire un bilan des prix non pas sur les millénaires, mais sur les quarante-cinq années passées.
Pourquoi quarante-cinq ans ? Parce que, dans les dernières années du septennat de Giscard, le salaire médian était à 16 francs l’heure ; aujourd’hui il est à 16 euros. On peut donc comparer les prix par rapport au pouvoir d’achat.
Comparatif des prix depuis Giscard
La baguette de pain coûte environ 1 euro, contre 1F30 à cette époque. La chute des cours du blé, la meilleure performance des semences et des engrais, l’irrigation, la mécanisation des récoltes ont augmenté les quintaux à l’hectare. La flambée actuelle du prix du blé vient de deux accidents au moins : la pandémie et la guerre russo-américaine en Ukraine, mais structurellement, la tendance devrait un jour nous ramener à la baisse. On sait que les pâtes, fabriquées à base de blé, augmentent, mais avec les œufs, le poulet et l’huile d’arachide, ces produits de consommation courante ont baissé de moitié.
L’essence a baissé de 20%, et encore peut-on aller plus loin avec la même quantité de carburant, donc on pourrait creuser encore le chiffre de cette baisse.
Le prix d’achat de la voiture type de la classe moyenne a baissé de 40%, alors même que ses composants la font peser plus lourd qu’à l’époque giscardienne.
Les équipements de maison, depuis la télévision jusqu’au réfrigérateur, ont baissé de 80%. Les voyages, eux aussi, ont baissé dans les mêmes proportions. Le prix des places de cinéma a chuté d’un quart.
La réalité de cette baisse de prix
On voit donc que la tendance est à la baisse, mais la hausse du coût du logement fait oublier ces réalités, parce que le logement pèse tellement lourd qu’il est devenu plus difficile au consommateur de satisfaire ses autres désirs.
En outre, l’effondrement des coûts s’est produit surtout durant les années 80-90, c’est-à-dire dans les deux premières décennies de ces quarante-cinq ans ; donc la baisse est moins sensiblement ressentie aujourd’hui, sauf bien sûr pour des produits de grande consommation comme les ordinateurs par exemple, qui au début des années 90 coûtaient une fortune, surtout si l’on compare à performances égales.
Enfin, la hausse actuelle du prix de l’énergie, certes spectaculaire, fait oublier – pour autant qu’on en ait jamais pris conscience – la différence favorable entre hier et aujourd’hui. Tout ceci nous montre que le progrès technique est toujours un facteur d’amélioration des conditions de vie. Une vérité à garder toujours en tête, face aux discours de dénigrement de la croissance.
On n’en finit plus de se demander si les événements auxquels nous assistons dans le monde, connectés d’une manière ou d’une autre à la guerre russo-ukrainienne, n’ouvrent pas le véritable Vingt-et-unième siècle.
Remarquons en effet que, depuis longtemps, les siècles débutent avec une quinzaine d’années de retard. 1515, c’est – pour la France en tout cas – le début de la Renaissance. 1615, avec l’abandon pour longtemps de la pratique des Etats-Généraux, entame un siècle préparant l’absolutisme. 1715 est l’année de la mort de Louis le Grand et inaugure le XVIIIe Siècle. 1815, à Waterloo, commence le XIXe. 1914 ouvre le XXe siècle. Il n’est pas impossible qu’avec un peu plus de décalage, 2022 marque un nouveau tournant historique.
On assiste en effet à la contestation du règne du dollar, non seulement par les ennemis de l’Amérique – ce qui est déjà nouveau en soi – mais encore par des pays qui jusqu’alors étaient ses amis caudataires ; l’Arabie par exemple, qui annonce vouloir négocier une partie de son pétrole en yuans chinois. On se souvient que pour avoir prétendu vendre une partie du sien en euros, Saddam Hussein l’a payé d’une invasion meurtrière en 2003 ; mais cette fois-ci, l’Amérique ne bouge pas.
Comme le monde arabe, et comme l’Inde – pourtant alliée aux Etats-Unis contre la Chine – la moitié des pays africains, et les plus importants Etats sud-américains ont refusé de condamner la Russie, en dépit de l’insistance de leur ancien tuteur. Discréditée par son piteux repli d’Afghanistan, l’Amérique est observée de près par la Chine qui se demande si elle ne pourrait pas tenter une expédition sur Taïwan : alors, la guerre commencerait peut-être à devenir vraiment mondiale, car les Etats-Unis ont dans la région beaucoup d’alliés, depuis le Japon jusqu’aux Philippines en passant par la Corée du sud et même le Viet Nam. C’est l’inconvénient des alliances, dont l’Europe a fait les frais en 1914 : elles sont regardées comme des garanties mais peuvent tout aussi sûrement entraîner l’ensemble dans des engrenages belligènes.
La solidarité européenne du XXIème siècle
La solidarité européenne, naguère mise à mal par la pandémie chinoise, est en train d’exploser sous nos yeux. Le couple franco-allemand a été déserté par l’Allemagne qui décide de consacrer 100 milliards à son réarmement et achète des avions de chasse américains plutôt qu’européens. L’Union européenne a été incapable de jouer dans la crise ukrainienne le moindre rôle diplomatique, autrement que supplétif de l’Amérique. L’Europe est profondément divisée entre l’Est, très craintif de la Russie pour des raisons historiques évidentes et récentes, et l’Ouest qui n’a pas les mêmes appréhensions. Cette tension interne oblige la France, présidente de l’Union pour six mois, et sa seule puissance militaire crédible, à gribouiller une page diplomatique consistant à envoyer des avions Rafale et des chasseurs alpins en… Roumanie, comme si la Russie pouvait être tentée de s’aventurer dans ce pays déjà séparé de l’Ukraine par la Moldavie.
Nous avons déjà étudié l’effet des sanctions qui, commandées par l’Amérique mais n’étant suivies que par l’Europe ou presque, avantagent les autres puissances, comme la Chine qui a remplacé Total en Iran et bientôt en Russie : l’ironie de l’histoire est qu’en voulant imposer un monde unipolaire tournant autour de son empire et de son idéologie, l’Amérique provoque elle-même un éclatement propice à l’avènement d’un monde multipolaire et westphalien, où la diplomatie reprendrait ses droits. Même en tenant pour possible qu’une guerre s’interposerait entre les deux époques, il est probable que la seconde s’imposera tôt ou tard.
Le retour de l’inflation a tendance à faire germer dans l’esprit d’un grand nombre l’idée qu’autrefois, décidément, la vie était moins chère qu’aujourd’hui. C’est un réflexe bien connu, et aussi bien compréhensible, mais sur le fond, que faut-il en penser quand on perce l’épaisseur des siècles ?
Le coût de la vie : l’alimentation
Commençons par le plus important, l’alimentation. Il existe sans doute de fortes disparités de coût entre les temps anciens et aujourd’hui, mais seulement sur certains produits, pas sur la nourriture en général. Les œufs d’esturgeon, par exemple – qu’on appelle de nos jours le caviar, un nom persan – ne valaient rien sous l’antiquité, ils étaient méprisés même, on les donnait à manger aux cochons. Le homard était surnommé « le cafard des mers » tant il était dévalué.
Il est des produits qu’on ne peut pas comparer entre eux, parce qu’on ne les connaissait pas, comme la tomate ou la pomme de terre, mais généralement, on peut dire que le coût de l’alimentation n’a pas beaucoup changé. Certes, jadis, le pain est le roi des aliments, mais on mange de la viande domestique tous les deux jours (disons en moyenne, donc en tenant compte des fluctuations observables dans les siècles) sans compter le petit gibier que l’on se procure par soi-même. La nourriture pouvait être jadis abondante : en Egypte on pratiquait l’élevage des poulets aussi bien que celui des ovins et bovins.
Cela dit, dans la chrétienté ancienne, de nombreux jours étaient prévus sans viande pour raisons religieuses, ce qui relativise évidemment la statistique. Mais ce qui reste vrai, c’est qu’un ouvrier romain gagnait quotidiennement de quoi manger deux kilos de bœuf, en parité de pouvoir d’achat. L’alcool était moins cher, on buvait deux à trois litres de vin par jour, mais un vin beaucoup moins fort qu’aujourd’hui, et en des temps où les hommes se dépensaient beaucoup au travail physique. Enfin, le sel, contrairement à la légende, ne valait pas le prix de l’or, même si on l’appelait « l’or blanc » à cause du service qu’il rendait dans la conservation des aliments.
En vérité, les facteurs de la pauvreté ou de l’appauvrissement étaient liés aux guerres, aux épidémies, aux maladies du pain comme celle de l’ergot de seigle, plus qu’à la capacité de la population à se nourrir.
Le coût de la vie : les services
S’agissant des services, les prix sont souvent stables du fait même de leur utilité. Se faire coiffer, par exemple, ne peut pas être trop cher, sinon on ne se coifferait pas, donc ce qu’exigeait le coiffeur (le barbier) à Rome est équivalent à ce que vous demande votre coiffeur aujourd’hui.
Ce qui change vraiment entre notre époque et les précédentes, c’est le coût du logement. Il atteint 30% de notre budget aujourd’hui, quand il ne montait qu’à 10% dans les siècles passés. C’est pourquoi on peut s’attendre à ce que naissent des tensions de ce côté. La surface disponible se réduit de plus en plus, et beaucoup d’entre nous qui n’ont pas de moyens suffisants sont contraints de se déporter dans des régions éloignées des centres équipés en services publics et autres infrastructures : c’est ce que Christophe Guilluy appelle la « France périphérique », à l’origine de la révolte des Gilets jaunes ; une révolte matée, mais pour combien de temps ?
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